Shesmou : Étude historique et archéologique d’une divinité égyptienne

Introduction
Shesmou (également écrit Chesmou, Shesmu, Schesmu, Shezmou, Schezemu, Schesemu, Shesemu, Sezmu, Sesmu ou Šezmu) est une divinité de l’Égypte ancienne dont le rôle et la représentation ont évolué au cours des millénaires de la civilisation égyptienne. Cette étude vise à présenter les aspects historiques et archéologiques de cette divinité complexe, en s’appuyant sur les sources textuelles, iconographiques et archéologiques disponibles.
1. Premières attestations et évolution historique
Période prédynastique et Ancien Empire
Les premières mentions de Shesmou remontent à l’Ancien Empire (2700-2200 av. J.-C.), notamment dans les Textes des Pyramides, qui constituent le plus ancien corpus de textes religieux égyptiens. La formule 403 des Textes des Pyramides (Pyr. §§ 697-699) fait référence à Shesmou en tant que divinité associée au pressoir et au sang des ennemis du défunt pharaon (Faulkner, 1969).
Selon l’égyptologue Herman te Velde (1977), Shesmou était probablement une divinité locale dont le culte s’est développé dans la région de Memphis, l’une des plus anciennes capitales de l’Égypte.
Moyen Empire et Nouvel Empire
Au cours du Moyen Empire (2033-1786 av. J.-C.), Shesmou apparaît dans les Textes des Sarcophages, où son rôle de divinité associée aux parfums et aux huiles sacrées est davantage développé. La formule 941 des Textes des Sarcophages le mentionne comme le « Seigneur des huiles parfumées » (Barguet, 1986).
Durant le Nouvel Empire (1550-1069 av. J.-C.), des références à Shesmou apparaissent dans le Livre des Morts (Chapitre 17) et dans divers textes funéraires royaux, notamment dans les tombes de la Vallée des Rois (Hornung, 1999).
Basse Époque et période ptolémaïque
À la Basse Époque (664-332 av. J.-C.) et durant la période ptolémaïque (332-30 av. J.-C.), Shesmou est mentionné dans les textes des temples, particulièrement à Dendérah et à Edfou. Le temple d’Edfou contient des inscriptions décrivant les rituels de préparation des huiles sacrées sous la protection de Shesmou (Chassinat, 1928).
2. Nature et fonctions de la divinité
Maître du pressoir
La fonction primordiale de Shesmou est celle de « Maître du pressoir ». Cette appellation, attestée dans de nombreux textes religieux, le désigne comme la divinité présidant à l’extraction du jus de raisin pour la production de vin, mais également à l’extraction des huiles végétales utilisées dans la fabrication des parfums et onguents sacrés (Manniche, 1999).
Dieu des parfums et des huiles sacrées
Selon Lise Manniche (1999) dans son ouvrage Sacred Luxuries: Fragrance, Aromatherapy, and Cosmetics in Ancient Egypt, Shesmou était vénéré comme le protecteur des processus d’extraction des essences végétales. Les huiles produites sous sa protection étaient utilisées pour :
- Les rituels religieux et funéraires
- L’embaumement des défunts
- Les onctions royales et divines
- Les soins cosmétiques
Divinité ambivalente
Une caractéristique notable de Shesmou est sa nature duelle. D’une part, il est une divinité bénéfique, fournissant les produits essentiels au culte et à la préservation des corps. D’autre part, les textes funéraires le décrivent comme une entité redoutable, « celui qui presse le sang des ennemis comme on presse le raisin » (Willems, 1996).
Cette dualité reflète la conception égyptienne des forces naturelles, à la fois créatrices et destructrices. Dimitri Meeks (2003) souligne que cette ambivalence est commune chez les divinités associées aux processus de transformation.
3. Iconographie et représentations archéologiques
Représentations anthropomorphiques
Les représentations de Shesmou sont relativement rares en comparaison d’autres divinités du panthéon égyptien. Lorsqu’il est représenté, il apparaît généralement sous deux formes principales :
- Forme humaine : Dans certaines représentations, notamment sur des papyrus du Nouvel Empire, Shesmou est figuré comme un homme portant la couronne de Basse-Égypte ou une simple perruque (Wilkinson, 2003). Selon Wikipédia, il est aussi figuré les bras chargés de jarres.
- Forme léonine : Plus fréquemment, il est représenté comme un homme à tête de lion, parfois tenant un couteau, symbolisant son aspect redoutable (Hornung, 1982).
Scènes de pressage
Des représentations du processus de pressage, sous la protection implicite de Shesmou, sont visibles dans plusieurs tombes privées, notamment :
- La tombe de Pétosiris à Tuna el-Gebel (IVe siècle av. J.-C.)
- Les tombes thébaines TT52 (Nakht) et TT217 (Ipuy) du Nouvel Empire
- La tombe de Kheti à Beni Hassan (Moyen Empire)
Ces scènes montrent des personnes utilisant des pressoirs à torsion pour extraire le jus de raisin ou des huiles végétales (Murray, Boulton & Heron, 2000).
Objets archéologiques
Peu d’objets archéologiques sont directement associés à Shesmou. Cependant, des pressoirs à huile et à vin ont été découverts dans divers contextes archéologiques, notamment :
- Une installation de pressage d’huile d’olive à Tell el-Balamun (Basse Époque)
- Des restes de pressoirs à vin à Abydos et à Tell el-Amarna
Des récipients à onguents portant des inscriptions mentionnant Shesmou ont été identifiés dans le trésor de Toutânkhamon (Carter & Mace, 1923-1933).
4. Culte et lieux de vénération
Centres de culte
Bien que Shesmou n’ait pas bénéficié d’un culte aussi étendu que celui d’autres divinités majeures comme Osiris ou Amon, plusieurs centres ont été identifiés comme lieux de son culte :
- Memphis : Considéré comme le centre principal de son culte, notamment dans le quartier artisanal où étaient produits parfums et huiles sacrées (Zivie, 2009).
- Dendérah : Le temple d’Hathor à Dendérah contient des références à Shesmou en tant que divinité associée à la production d’huiles rituelles (Cauville, 2001).
- Abousir : Des mentions de Shesmou ont été trouvées dans le temple solaire de Niouserrê (Ve dynastie).
Rituels associés
Les rituels associés à Shesmou étaient principalement liés à la production de vin et d’huiles sacrées. Des textes du temple d’Edfou décrivent en détail la préparation des « Sept Huiles Sacrées » utilisées dans les rituels quotidiens et les cérémonies d’embaumement (Goyon, 1972).
5. Aspects théologiques et relations avec d’autres divinités
Associations divines
Shesmou entretient des relations théologiques avec plusieurs autres divinités :
- Horus : Dans certains textes tardifs, Shesmou est assimilé à un aspect d’Horus vengeur, protégeant son père Osiris (Junker, 1958).
- Khenty-Khety : Cette divinité crocodile de Létopolis partage avec Shesmou certains aspects violents et protecteurs (Meeks, 2003).
- Min : Dieu de la fertilité, il est parfois associé à Shesmou dans les contextes agricoles liés à la production de vin (Gauthier, 1931).
- Osiris : En tant que dieu du vin, Shesmou est lié au cycle osirien de mort et de renaissance, le vin étant symboliquement associé au sang d’Osiris (Griffiths, 1980).
Signification mythologique
La dualité de Shesmou reflète la conception égyptienne de la transformation : extraction de substances précieuses (vin, huile) nécessitant une forme de violence (presser, écraser). Cette dualité symbolise également le cycle de la vie et de la mort, thème central de la pensée religieuse égyptienne (Assmann, 2001).
Conclusion
Shesmou représente un exemple fascinant de divinité spécialisée dans le panthéon égyptien. Son association avec la production de vin et d’huiles sacrées souligne l’importance de ces substances dans les pratiques religieuses et funéraires de l’Égypte ancienne. Sa nature ambivalente, à la fois bienfaisante et redoutable, reflète la complexité de la pensée religieuse égyptienne et sa perception des forces naturelles.
Bien que moins connu que d’autres divinités majeures, Shesmou occupait une place significative dans l’univers religieux égyptien, en particulier dans les contextes rituels et funéraires où parfums, onguents et vin jouaient un rôle essentiel.
Bibliographie
- Assmann, J. (2001). The Search for God in Ancient Egypt. Cornell University Press.
- Barguet, P. (1986). Les Textes des Sarcophages égyptiens du Moyen Empire. Éditions du Cerf.
- Carter, H., & Mace, A. C. (1923-1933). The Tomb of Tut.ankh.Amen. Cassell & Company.
- Cauville, S. (2001). Dendara : Le Temple d’Isis. Institut français d’archéologie orientale.
- Chassinat, É. (1928). Le Temple d’Edfou. Institut français d’archéologie orientale.
- Faulkner, R. O. (1969). The Ancient Egyptian Pyramid Texts. Oxford University Press.
- Gauthier, H. (1931). Les fêtes du dieu Min. Institut français d’archéologie orientale.
- Goyon, J.-C. (1972). Rituels funéraires de l’ancienne Égypte. Éditions du Cerf.
- Griffiths, J. G. (1980). The Origins of Osiris and His Cult. Brill.
- Hornung, E. (1982). Conceptions of God in Ancient Egypt: The One and the Many. Cornell University Press.
- Hornung, E. (1999). The Ancient Egyptian Books of the Afterlife. Cornell University Press.
- Junker, H. (1958). Der grosse Pylon des Tempels der Isis in Philä. Österreichische Akademie der Wissenschaften.
- Manniche, L. (1999). Sacred Luxuries: Fragrance, Aromatherapy, and Cosmetics in Ancient Egypt. Cornell University Press.
- Meeks, D. (2003). Les Dieux et démons zoomorphes de l’Égypte Ancienne. In Revue de l’histoire des religions, 220(2), 183-196.
- Murray, M. A., Boulton, N., & Heron, C. (2000). Viticulture and wine production. In P. T. Nicholson & I. Shaw (Eds.), Ancient Egyptian Materials and Technology (pp. 577-608). Cambridge University Press.
- te Velde, H. (1977). Seth, God of Confusion: A Study of His Role in Egyptian Mythology and Religion. Brill.
- Wilkinson, R. H. (2003). The Complete Gods and Goddesses of Ancient Egypt. Thames & Hudson.
- Willems, H. (1996). The Coffin of Heqata (Cairo JdE 36418): A Case Study of Egyptian Funerary Culture of the Early Middle Kingdom. Peeters Publishers.
- Zivie, A. (2009). La Tombe de Maïa, mère nourricière du roi Toutânkhamon et grande du harem. Caracara Edition.